La facturation au temps passé est longtemps restée le mode de référence dans les cabinets d’avocats...
La facturation au temps passé est longtemps restée le mode de référence dans les cabinets d’avocats. Le principe est simple : on fixe un taux horaire (souvent en fonction du niveau d’expérience de l’avocat), puis on facture le client à la fin de la mission, en fonction du nombre d’heures réellement passées sur le dossier.
Ce système a façonné des générations d’avocats. Pourtant, il est de plus en plus remis en question — par les clients comme par les avocats eux-mêmes.
Selon une étude menée par Septeo, 66 % des avocats français continuent à utiliser ce modèle pour au moins une partie de leur activité. Mais dans les faits, très peu facturent l’ensemble des heures réellement passées, et presque tous redoutent le moment de transmettre la facture au client. Pourquoi ? Parce que cette méthode crée du stress, de la frustration, et des contestations — des deux côtés.
En réalité, la valeur perçue du temps de l’avocat s’effrite. La profession n’est plus dans une position où elle peut imposer ses conditions. Le rapport de force a changé.
Pour comprendre cette mutation, il faut analyser deux dynamiques qui ont radicalement transformé le marché des avocats ces dix dernières années :
Résultat : le centre de gravité du marché a basculé. Là où l’avocat était rare et sollicité, il devient comparé et challengé. Le client est informé, exigeant, et orienté résultat.
Et dans cette nouvelle logique, le prix devient une variable décisive. Mais pas dans le sens où il faudrait forcément baisser ses tarifs. Ce qui compte, c’est la visibilité sur le budget et la justification de la valeur.
« Le client achète un objectif, pas une méthode. Il veut savoir combien cela va lui coûter pour réussir. Pas combien d’heures vous allez passer à essayer. »
Prenons un exemple simple : une entreprise veut lever des fonds ou racheter une cible. Elle alloue un budget global à cette opération, et va répartir ce budget entre tous les intervenants (comptable, avocat, conseil financier…). Si l’avocat est le seul à facturer sans engagement sur le coût final, il devient un facteur d’incertitude — donc un problème.
La facturation au temps passé perturbe la relation avocat-client à chaque étape :
Ce mode de facturation détériore la confiance et crée un cycle de négociation permanent autour du prix.
Pire : il plafonne la rentabilité du cabinet. Quand vous facturez votre temps, vous vendez votre capacité à travailler, pas la valeur que vous créez.
Certains cabinets résistent encore à cette évolution. Mais dans les faits, les plus gros clients ont déjà changé de posture. Les directions juridiques veulent :
« La facturation au temps passé n’est plus possible. »
— Dragana Radojevic, Head of Central Legal Affairs, BNP Paribas Personal Finance
Ce basculement n’est pas une question de tendance. C’est une mutation structurelle du marché. Et comme dans toute mutation, ceux qui prennent le virage tôt créent un avantage concurrentiel durable.
L’une des erreurs les plus fréquentes des avocats est de raisonner à partir de leurs coûts internes. Combien de temps cela va-t-il me prendre ? Quel est mon taux horaire ? Est-ce rentable pour moi ?
Mais le client, lui, ne raisonne pas en temps passé. Il pense en résultat à atteindre et en budget global. C’est ce qu’on appelle la “Willingness To Pay” — la propension à payer.
Deux paramètres principaux guident cette logique :
C’est le bénéfice psychologique ou économique que le client accorde à la réussite de sa mission. Cela peut être :
Le client fixe instinctivement un seuil de valeur, même s’il n’en a pas conscience. C’est ce qui explique pourquoi certains diront « c’est beaucoup trop cher » pour 2 000 €, tandis que d’autres paieront 20 000 € sans sourciller.
Même sans faire d’appel d’offres, le client se fait une idée — juste ou fausse — de ce que coûte une prestation équivalente chez un autre avocat ou via une solution concurrente.
Il ne veut pas forcément le prix le plus bas, mais un prix justifié par la valeur apportée.
💬 « Un client ne cherche pas un avocat, il cherche une solution à un problème, dans un budget. »
Un des grands tournants dans la stratégie de facturation est de comprendre ceci :
Vous ne vendez pas des heures. Vous vendez une promesse. Un résultat. Une tranquillité.
Prenons une mission classique d’accompagnement à la levée de fonds. Le client ne se soucie pas du nombre d’heures passées à structurer l’opération. Ce qu’il veut, c’est lever ses fonds dans les temps, en toute sécurité.
S’il pouvait avoir ce résultat en 5 heures ou en 50, peu lui importe — tant que le prix reste dans son budget cible et que vous tenez votre promesse.
Pendant longtemps, les prestataires informatiques facturaient au temps passé. Résultat : les clients redoutaient de les appeler, de peur de faire grimper la facture.
Aujourd’hui, les MSP (Managed Services Providers) facturent en abonnement mensuel illimité. Le client peut appeler dès qu’un problème survient. Le prestataire, lui, a intérêt à prévenir les pannes, plutôt que de les réparer.
Résultat : confiance restaurée, satisfaction client renforcée… et marges dopées.
La facturation au temps passé introduit une source de tension permanente dans le parcours client. Elle empoisonne la relation dès la signature du dossier et jusqu’à l’envoi de la facture.
L’avocat fournit une estimation, mais n’est pas capable de garantir un prix. Le client signe donc à l’aveugle, avec l’angoisse d’un budget qui pourrait déraper.
💬 “On m’a dit entre 5 000 et 10 000 €. J’ai signé en me disant que ça serait 6 000. J’ai payé 11 500. Je n’ai plus jamais retravaillé avec ce cabinet.”
Le client ne comprend pas ce que vous faites. Il se demande :
Il doute. Il surveille. Et parfois, il limite les échanges, ce qui nuit à la qualité du conseil.
Même si le dossier s’est bien déroulé, la facture finale reste un moment délicat. Elle peut être perçue comme une surprise désagréable, voire une prise d’otage : la prestation est finie, il faut payer.
Et de votre côté ? Vous n’osez pas envoyer la facture complète. Vous réduisez les heures. Vous grignotez votre marge. Et vous redoutez la relance.
Quand vous facturez au temps passé, votre seule variable de facturation, c’est votre propre travail. Autrement dit : vous échangez du temps contre de l’argent.
Le problème ? Ce modèle :
💬 “Si je suis plus rapide, je facture moins. Si je délègue, le client râle. J’ai l’impression d’être coincé.”
Il est temps de poser une base essentielle :
La facturation n’est pas une simple formalité. C’est un acte stratégique.
Elle représente le point de contact entre la valeur que vous apportez et la façon dont le client l’achète. Ce n’est pas une ligne Excel. C’est un révélateur de votre positionnement.
Or, la plupart des avocats ne pensent la facturation qu’à l’échelle du dossier, pas à l’échelle du cabinet.
Prenons un exemple concret :
Vous réalisez une mission de conseil juridique représentant 10 heures de travail. Vous pouvez :
Chaque modèle raconte une autre histoire au client. Ce n’est pas juste une question de chiffres. C’est une proposition de valeur différente.
Définition : Un prix fixe annoncé à l’avance, pour une prestation clairement définie.
🧠 Astuce : Pensez votre forfait sur une base mutualisée. Un dossier peut déraper, mais 8 autres resteront dans la cible.
Définition : Une part variable de votre rémunération est conditionnée à l’obtention d’un résultat (succès, économie, issue favorable).
💬 « Si je gagne, vous gagnez. »
C’est une promesse que beaucoup de clients valorisent fortement.
Définition : Le client achète à l’avance un volume d’heures qu’il peut utiliser à sa convenance.
Mais ce modèle reste centré sur le temps. Il ne règle pas la problématique de valeur perçue. Il est donc utile en transition, ou en complément d’un abonnement structuré.
Définition : Une offre forfaitaire récurrente, pour des prestations régulières ou une disponibilité permanente.
💬 “Sur 10 clients abonnés, 5 utilisent comme prévu, 4 sous-utilisent, 1 sur-utilise. Et c’est rentable.” — Avocat membre de Solution by HF
Exemple : rédaction de CGV, mise en conformité RGPD, pré-contentieux locatif, audits corporate…
🎯 Objectif : identifier une marge de manœuvre moyenne.
N’oubliez pas : vous pouvez toujours renégocier si les paramètres du dossier changent. Ce n’est pas le forfait qui crée de la rigidité. C’est l’absence de dialogue autour du forfait.
Changer de logique tarifaire, c’est changer de posture. C’est penser en valeur perçue plutôt qu’en coût. C’est reprendre le contrôle de sa stratégie financière. Et c’est construire un cabinet plus robuste, plus clair, plus aligné.
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